Même si le jour n'est pas encore mort parce qu'on a truqué le temps avec nos aiguilles de montres, souvent en fin de service dans l'ascenseur du commissariat, on rencontre les yeux palanqués.
Au compte goutte ; les uns après les autres ; en grand silence.
Ils glissent presque sans faire de traces. Faut dire que sous les yeux palanqués la peau est tellement pâle et triste, qu'à peine ces humains là ressemblent à ceux qu'on connaît.
Bien sûr ils le savent et font vie à part ; même dans l'ascenseur.
Je me changeais pour partir ; elle se changeait pour prendre son service.
Elle avait les yeux noyés dans des orbites effondrées, et la peau du visage si blanche, si molle.
Pas plus de 35 ans certainement.
Des années de nuit, certainement aussi.
Elle boutonne une chemise qui ressemble à son visage.
Clic-clac-clac, le pistolet est vérifié puis armé. Clac, à la ceinture... ça lui a pris quelques secondes. Un automatisme comme un autre. Elle prend son pétard comme une femme d'ailleurs attraperait son sac pour aller faire trois courses.
Je lui souris à peine, comme une excuse.
Cette fille a de grosses lèvres blêmes, et un sourire immense qui éclaire ses yeux.
C'est fugitif mais c'est beau.
Une femme belle sous un visage et un uniforme avachis, sous des cheveux blonds raides courts, même pas coiffés.
Elle me parle de son enfant. Que c'est pour être plus souvent tout contre lui qu'elle a choisi de travailler la nuit.
Dans cette ville où on bosse toutes les deux, aujourd'hui on a tiré sur un flic.
...Pourvu qu'on ne fasse pas de mal à cette flic-là... jamais!
Ut le 30/03/2011