Huit mois que je passais devant une fois par semaine (et quelques fois plus): le cabinet de Doc' est juste au-dessus.
C'est dans la basse ville, mais pas vraiment; parce qu'il y a une vraie rue à voitures, et que les chaises rondes de bistrot sont posées sur un vrai trottoir.
Juste à peine plus loin, il y a le marchand arabe: des tonnes de marchandise qui dégoulinent jusqu'au milieu du trottoir; même qu'il a dû mettre une bâche pour tenir tout ça.
Donc:
Quatre guéridons bariolés et un peu rouillés... les embruns ne sont pas très loin...une porte-fenêtre à ne pas y voir dedans tellement elle épingle des affiches de toutes les tailles et de toutes les couleurs.
… Et à chaque fois ça me faisait aux yeux comme une vitrine de Noël...
Mais vers dedans moi je n'approchais pas: je traversais à peine, en essayant de ressembler à l'ombre, la minuscule terrasse où, qu'il boue de soleil ou qu'il vente Mistral, il y avait toujours des gens à conversations.
Et j'enviais les gens. Et surtout les conversations.
Mais je ne flanchais pas: j'avais la superbe excuse (une de celles qu'on garde toujours sur soi pour le cas où... tu sais bien) que je n'avais pas un Euro à dépenser.
Et puis il y a trois jours... personne en terrasse! Juste deux gens debout à se parler.
J'étais un peu maquillée; je me suis dit que je pourrais passer... pour une passante de tous les jours.
Et j'ai collé mon nez à toutes les affiches de la porte-fenêtre.
Et j'ai tout lu sans tout comprendre, mais deux papiers blancs se sont fait entendre: «Recherchons peintres» et «Atelier d'écriture».
Trop forts ces mots... ou bien j'avais ce jour là oublié l'excuse bidon: j'ai appuyé ma main droite sur la poignée à entrer.
Je n'ai pas vu les gens; juste parcouru les murs qui exposaient des papillons; des couleurs et des couleurs de papillons.
Au fond un tout petit comptoir; une dame. J'ai demandé à la dame c'est quoi l'atelier écriture? Elle m'a dit c'est Fabien, le monsieur qui discute juste là dehors.
Alors je suis ressortie doucement, sur la pointe des pieds parce que décidément mes chaussures d'hiver font trop de bruit par terre. Mais Fabien et son interlocutrice ont ouvert le cercle à parler, m'ont regardée.
Alors j'ai mit mon plus joli sourire sous les cheveux que j'avais laissés tomber un peu partout pour cacher mon visage, et j'ai dit «Bonjour...»
Et hier j'étais avec Gabriel, assise coincée entre deux tables serrées: l'une à peinture sombre avec un oeil de verre encastré; l'autre de carrés colorés.
Fabien a parlé, perché sur le seul siège qui restait: un haut tabouret noir et chrome. Et comme Gabriel et moi étions têtes nouvelles, d'abord il a demandé à chacun de dire son prénom et pourquoi il aimait venir là.
Première prise de parole pour Gab' seul enfant.
Fabien avait préparé pour chacun (13 on était!) des documents sur l'abécédaire, l'acrostiche et... les papillons... Les papillons de l'expo' future, qui attendaient l'écriture pour dire à tout l'monde.
Il a expliqué tout ça, sans tralala précipitation ou quoi que ce soit de semblant; avec sa petite voix qui ouvre à peine la bouche.
Et puis l'écriture a commencé, sur cahiers, feuilles ou carnets qui débordaient partout, même jusque dans le carton de pâtisseries orientales offertes par le café Culture.
Ca a duré. Duré le temps qu'il fallait pour chacun de poser, raturer, recommencer ses mots vrais à soi.
Et puis on a dû se lire chacun aux autres.
A côté de moi j'entendais vibrer, trembler mon grand petit de quatorze ans...
On m'a demandé de lire juste avant lui, alors bien obligée pour lui montrer, je me suis appliquée pour la voix claire, le ton sur les mots lancés à l'écoute dans la petite salle sans un murmure; avec toute la force de l'encre qui disait.
Au moment de fils, il a regardé Fabien et demandé: «On est obligé de lire?»
Tout le monde a dit oui oui!
Alors Gabriel, l'enfant clair et si souvent silence, a ouvert sa lourde voix d'homme; et parlé ses mots; ses mots à lui: l'acrostiche dont il avait choisi le titre et la chanson; mots si purs et si colère, ceux que je t'ai envoyés en-dessous, là, hier, avec la photo de lui.
Quand nous avons quitté le café Culture, après rires et palabres et gâteaux orientaux, j'avais le sentiment d'avoir rencontré une foule: des gens de partout dans leur tête et dans leur vie; des gens de tous âges, étudiants, travailleurs ou retraités.
Des gens à créer....
Vendredi prochain je reviens, parce que tu sais, les Euros... l'excuse... ben ils ne sont que vingt cinq pour l'année.. et même qu'on peut donner un peu de son temps à perdre (perdu, si tu veux)!
Ut le 14/11/2009