Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 août 2009 4 13 /08 /août /2009 05:38


La porte du numéro trois gémit un peu puis claqua brutalement. Le bruit mit du temps à s’écailler dans la nuit compacte, à peine ouverte par endroits des ronds des lumières artificielles de la ville.

La silhouette anonyme, sombre et aiguë, lame effrangée, semblait ne rien sentir de tout ce noir; de la douceur du temps pas encore réveillé. L’aube était bien loin.

Elle traversa d’un pas inégal la petite place, droit sur la fontaine silencieuse, comme si elle coupait le temps, le seau gris brinquebalant à son côté.

L’anonyme plongea le seau dans l’eau glacée et endormie, et cela fit encore un bruit insolite; comme s’il n’avait pas le droit d’exister à cette heure-ci; à cet endroit-là.

Rien, aucun signe de vie humaine ne semblait sortir de l’ombre étroite, des jupes à peine mouvantes, du fichu marron noué sur la tête, des gestes mécaniques et vides.

C’était comme si le seul être vivant de l’instant était un petit chien noir et blanc qui accompagnerait des tissus en mouvement.

L’anonyme économisait les gestes; le petit chien marchait vite, tournait sur lui-même, bondissait un peu, poussait sa truffe par terre.

L’anonyme se dirigea, seau dégoulinant à bout de bras, vers l’immeuble en face du numéro trois. Elle sorti de l’intérieur des superpositions de tissus un trousseau de clé qui tinta sans presque faire la chanson des clés, s’ouvrit la porte et disparu à l’intérieur de l’immeuble.

Le petit chien noir et blanc s’était assis devant la porte close et attendait, ses larges oreilles arrondies à l’affut du moindre tressaillement d‘air.

Une vingtaine de minutes plus tard l’Anonyme réapparut sur la place, alla vider le seau dans la fontaine, le remplit à nouveau, et entra, avec le même boitillement pointu, les mêmes gestes- ou la même absence de gestes- dans l’immeuble d’à côté, puis dans celui d’à côté… jusqu’à l’immeuble mitoyen au numéro trois.

Le petit chien noir et blanc l’avait suivie devant chaque porte, où il s’était assis, immobile, sauf les oreilles. Chaque aller et retour irrégulier de l’Anonyme le faisait tourner sur lui-même comme un manège. Il l’accompagnait à la fontaine, reniflait tout autour à chaque fois qu’elle vidait et remplissait le seau, jetait négligemment trois gouttes d’urine en levant si haut la patte que quelques fois il chancelait à se retourner par terre.

A la fin tout les abords immédiats de la fontaine étaient ruisselants d’eau, et les traînées humides sillonnaient les dalles comme les rayons d’un soleil noir reliant les habitations à la source mère.

Alors le chien se dirigea vers le numéro trois, attendit d‘aplomb sur ses quatre pattes, la tête bien haute, que la brisure de vêtements ouvre pesamment la porte, le seau de nouveau plein au bout d‘un bras; et chaque pas balançait une giclée liquide qui faisait des taches éteintes par terre. Le chien suivit la silhouette anonyme dans l’entrée encore plus noire que la nuit dehors; la nuit qui commençait à déchirer des coulées de lumière laiteuse.

Quelqu’un qui aurait bien regardé aurait découvert que l’Anonyme et le petit chien noir et blanc agissaient pareil toutes les nuits sauf celle du Samedi au Dimanche; qu’ils n’échangeaient aucun son; que seul le chien semblait posséder un regard.

Ut le 10/04/2009

Partager cet article
Repost0

commentaires

J
Bele écriture où règne un mystère<br /> Heureusement il y aura une suite<br /> <br /> "<br /> Tu as remarqué que j'étais multiple... j'aime tous ces moi "(très modestes) je n'aime pas me mélanger
U
<br /> Alors on se ressemble un peu: je suis une solitaire avec plein de monde dans ma tête :)<br /> Je viens de te poser un com. sur un autre blog; une prose mélancolique et belle; de vie passée.<br /> <br /> <br />
N
Une histoire sur fond de mélancolie, de regard vide et éteint ou le désenchantement est latent ! Ce récit, on le suit mot à mot pour savoir, et on ne sait pas... Sauf que le petit chien est un très fidèle compagnon .<br /> Bisous UT<br /> nettoue
U
<br /> Il n'y a rien à savoir Nettoue: c'est la vie comme ça, quand on est Anonyme; le noir; ou plutôt le gris, partout, même dans la tête. Et tu le dis très bien!<br /> Oui, heureusement, il y a le petit chien :)<br /> <br /> Baisers par chez toi.<br /> <br /> <br />
C
Et bien oui, une suite...Ce pourrait être, à défaut d'un roman, une nouvelle.
U
<br /> Toute petite, alors, hein? Toute petite. Bisous Callivero.<br /> <br /> <br />
C
c'est étrangement fort et fortement étrange !<br /> c'est un regard, ton regard qui sait VOIR la vie des non anonymes à ton coeur ni au nôtre<br /> oui comme Danièle j'en redemande !
U
<br /> C'est l'Anonyme qui produit ça aux coeurs. J'aime que tu l'aimes!<br /> Elle est là; elle reviendra.<br /> Merci Colette.<br /> <br /> <br />
D
"L'Anonyme" fait partie de nous maintenant<br /> Un troisième volet UT (s'il te plaît...)
U
<br /> Elle est en nous, un jour ou l'autre... bien sûr qu'on en reparlera; ici ou ailleurs....<br /> Je te remercie de tes visites et de la trace que tu prends le temps de laisser..; en fait, je suis toute flattée!<br /> <br /> <br />

Présentation

  • : Le blog de Ut
  • : Juste un Cri d'elle à eux.
  • Contact

Profil

  • Ut
  •  Elle est comme la note, volatile et grave. Elle écrit comme elle peint: pour oublier de se souvenir, et donner en partage; participer à l'ouvrage. 
donner l'encre ou les couleurs de sa symphonie à une note.
  • Elle est comme la note, volatile et grave. Elle écrit comme elle peint: pour oublier de se souvenir, et donner en partage; participer à l'ouvrage. donner l'encre ou les couleurs de sa symphonie à une note.

Texte Libre

Recherche

Archives