Quand elle était jeune, l’anonyme était un garçon.
Même qu’elle avait un prénom… mais de si loin, elle ne se rappelle plus lequel… Il faut dire qu’il y avait peu de bouches à l’appeler, son nom...
Elle arrive encore à entrevoir un cri noiraud, pies nus, et sale.
Peut-être bien qu’elle n’habitait pas ici, dans ce pays dont elle entend si mal la langue...
Mais c’était un pays de soleil, ça elle sait. Et puis de couleurs aussi. De petits carreaux de couleurs. Et que c’était doux aux pieds; ou au sommeil, quand il arrivait à l’improviste, à la langueur d’un conteur, d’un musicien, d’une prière.
Ah la prière! Ca elle se souvient!
Avec la première giclure de soleil, là haut, sur l’arrondi éblouissant du minaret. Avec la Voix! Celle qui réveille tous les chants du monde. Qui dit bonjour à Dieu pareil qu’aux humains, même les plus humbles.
L’anonyme soupire… ça fait comme une plainte rauque qui viendrait de derrière la mer; de tout au fond des temps.
Qu’est-ce qu’elle oublie?
Ah oui, le seau. Le seau à mettre l’eau morte; l’eau à nettoyer les crasses humaines.
C’est pas tout à fait comme ça qu’elle pense, l’Anonyme, puisque c’est dans une langue que le petit chien n‘entend pas; mais il sent bien que ça ressemble à ça.
Il ne saurait dire; mais ça fait du temps qu’ils vivent ensembles:
Un jour de rien. Un jour de chaleur et d’attente. Un jour où la voiture était partie sans lui, le petit chien avait suivi l’ombre comme une griffe, les jupes odorantes.
C’est comme ça qu’il s’était installé chez l’Anonyme.
Et
De temps en temps le pli de sa bouche marmonne des bruits doux et rocailleux, quand elle se penche douloureusement pour poser une seconde sa main torturée sur sa grosse tête de chien.
Comme il aime ça le chien!
Le soir, il pose ses poils courts sur le carrelage, tout au bord du matelas par terre de l’Anonyme.
Ils dorment ensembles.
Il connaît comment elle ronfle; il s’éveille quand elle pense le noir, des heures, avec les épines de ses yeux pointus sur la nuit.
Il connaît comment elle grince aussi, quand le geste est trop large, ou trop brutal.
Ce qu’il sait, surtout, c’est que l’Anonyme a froid. Que c’est grave; et qu’elle en est morte. Dedans.
Lui, le chien, il ne connaît pas les trucs d’humain. Mais ça lui fait pitié quand même, ce vieux froid qui tremble; pitié à en avoir la gueule humide; à caresser avec la langue.
Elle n’aime pas ça les caresses de langue, l’Anonyme. Elle ne dit rien, comme toujours, mais elle se pousse; sur le vieux canapé encore un peu vert.
Peut-être que le froid empêche les caresses?
Ut le 15/08/2009