Magnifique illustration prise chez: http://www.drame.org
Marie découvrit l’Anonyme un matin vers cinq heures, alors qu’elle ouvrait la porte pour aller chercher du linge qui séchait sur l’étendoir du palier: les enfants n’avaient plus rien de sec et propre avec l’hiver; avec cette pluie; avec sa maladie surtout.
Alors Marie s’était levée très tôt pour poser sur un radiateur quelques culottes et chaussettes, pour qu’ils soient secs au lever des petits.
En ouvrant la porte elle se trouva, dans le froid figé de noir de la cage d’escalier, face à une forme grise qui se redressait en tournant lentement sur elle-même.
Marie n’avait jamais peur; c’était un truc qu’elle avait décidé une fois pour toutes pendant sa dernière grossesse; sous les poings de son amour.
Elle vit un fichu à franges, puis une serpillère qui dégoulinait sur des espèces de chaussons de feutrine. Son regard remonta de la serpillère jusqu‘en haut de chiffons accumulés, jusqu‘à ce qu‘il se cogne à deux épines noires et brillantes sous le fichu, fichées dans des orbites couleur de terre.
Il n’y avait aucun bruit, aucune lumière, aucune odeur; juste cette faille comme un malheur à portée de bras .
Pour agir sans crier, pour pousser le cauchemar en dehors d‘elle, Marie appuya d’instinct sur la minuterie: ces yeux étaient un vide qui la transperçait.
Ce fut exactement à ce moment là que l’anonyme se retourna et descendit les marches à une vitesse incroyable… elle boitait et pourtant on aurait dit qu’elle glissait d’une marche sur l’autre, sans un son, sans même un déplacement d’air. Seules ses jupes flottaient un peu à chaque frôlement avec le sol.
Marie entendit la porte du bas claquer. ..et puis plus rien qu’une frayeur en désordre dans sa tête….
Elle en avait oublié les culottes et les chaussettes; elle en avait oublié qu’elle ne craignait rien ni personne.
Elle rentra dans l’appartement, tremblante; verrouilla la porte à deux tours de clé; et se fit un très grand bol de café pour calmer tout ça.
Marie savait bien qu’elle venait de rencontrer la femme de ménage de l’immeuble; et elle se disait Pauvre Femme.
Mais pourquoi en avait elle frissonné longtemps, seule devant son bol blanc, dans la pénombre des lumières indirectes de la pièce?
Ut le 01/09/2009