Chien, comme un écheveau de poils noirs et blancs, dévalait les cinq étages au raz des marches. Comme toujours, il était accompagné de l’espèce de cliquetis, comme un bruit d’aiguilles à tricoter qui iraient à toute vitesse: le bavardage de ses griffes sur les tomettes.
Il s’arrêta net devant la lourde double porte de bois: elle était fermée! Pourtant Chien était descendu parce que son oreille droite avait entendu le noir Monsieur balafré du troisième double verrouiller sa porte, et glisser sans presque un bruit sur les marches; aussi parce que sa truffe avait senti la rauque odeur de fumée que cet humain traînait toujours avec lui, et qui n’en finissait pas de se méandrer longtemps dans tout l‘immeuble.
Chien approcha sa gueule en un mouvement de va et vient, suivant la règle chuintante du vent qui s'engroufrait par l’interstice du bas des deux battants clos sur l‘immeuble numéro trois. Le vent flairait bon une vieille odeur de poisson; sans doute les victuailles à jeter que le restaurant d’à côté venait d‘entreposer. Contre le battant droit ça sentait l’homme noir; Chien n’avait pas été assez rapide, ou l’homme avait fait plus vite que d’habitude: il venait de laisser la porte se claquer derrière lui.
Chien se tourna sur lui-même: il avait une fichue envie de faire pipi, et dans l'entrée de l'immeuble, c'était impossible!
Finalement il s'assit sur son cul blanc d'où dépassait un mognon de queue à bout noir; il leva sa gueule noire et applatie; il orienta ses grandes oreilles, noires à la base, blanche en haut, là où c'était fin et rond comme un pavillon translucide; bien droit; attentif; face à la porte.
Chien n'avait aucune notion du temps; il ne savait pas depuis quand il attendait. Simplement il avait mal au bas du ventre, comme si le liquide chaud qui sert à marquer le territoire allait exploser dans son petit corps tendu de muscles.
Il grognait tout doucement; faisait de temps en temps un tour complet sur lui-même; reprenait son attente.
Quand enfin la porte de bois vert s'ouvrit lentement, il fila par la fente d'air, sans même regarder qui entrait.
A l'odeur, c'était la maigre asiatique... il avait bien fait d'aller vite: quelques fois elle lui envoyait un sale coup de pied quand il se faufilait entre ses jambes: ces deux piquets gainés d'un épais tissu gris reniflant une méchante vieillesse de crasse froncée.
Dehors c'était vide de soleil glacé par le vent.
Chien avait épaissi son poil depuis quelques temps, depuis qu'il
faisait si froid, mais ça ne suffisait pas aujourd’hui... il frissonna poil à poil, puis courut jusqu’au plus proche olivier, et pissa longtemps; longtemps….Ut le 25/08/2009