Eric et Katy auraient dit qu'il y avait une habitation de mystère sur la place tranquille où les vieux du centre à malades prenaient le soleil et quelques écumes de vent de mer le Dimanche matin.
Il suffisait aux deux enfants de lever les yeux puis la tête, et tout de suite l’imaginaire était accroché aux trois petites fenêtres à minuscules carreaux sous le toit de l’immeuble numéro trois; des fenêtres qui semblaient comme éclairées d’elles mêmes: en plein midi-soleil elles suintaient des vagues d’or à brûler le regard; au coucher des enfants elles pétillaient d’orangers, comme surlignées sur la nuit.
Eric avait dit à Katy que personne ne savait le nom des habitants du numéro trois; et pourtant tout le monde se connaissait sur la place aux oliviers. Il disait que même les maîtres du quartier, les patrons des deux bars et celui du restaurant, haussaient les épaules quand on leur demandait qui logeait là; un peu comme s’ils n’aimaient pas être pris en défaut du savoir de territoire. En tout cas c’était ce que lui avait rapporté Mario, l’enfant du bar jaune, un gamin qui restait perpétuellement autour de la fontaine. Il avait dit que son père laissait se lasser les conversations des habitués quand elles hantaient le sujet.
Et puis surtout il y avait le petit chien noir et blanc...
Il sortait de l’immeuble N°3 plusieurs fois par jour, à l’occasion de l’ouverture de la grosse porte de bois vert vieux; il tournait sous les oliviers, reniflait, faisait ses besoins, et rentrait dès que quelqu’un poussait de nouveau la porte de l’immeuble.
Eric et Katy n’avaient jamais vu ce chien tricoter ses petites pattes ailleurs que sur la place.
C’était un chien avec une grosse tête et des oreilles de lapin toujours mobiles, et des babines noires ciselées comme s’il riait tout le temps. Le blanc de son pelage était plus vrai que la neige qu’on voit à la télé, et ses taches noires plus cirées que du velours neuf. Il n’avait pas de queue à dire les humeurs, alors on ne savait même pas s’il était content; si il éprouvait quelque chose ou rien.
Il ne se laissait approcher par personne, et faisait un large écart dès qu’on allait vers lui; et ça sans jamais aboyer, sans jamais gronder. Et même les petits gamins noirs qui se giclaient l’eau de la fontaine n’avaient pas une fois osé courir après lui ou lui jeter des cailloux, comme ils le faisaient aux chats sauvages ou aux pigeons malades.
Eric disait à Katy que c‘était un chien muet dedans comme dehors...
Pour de vrai, il pensait que c’était un chien de lumière et de silence, tout comme les petites fenêtres là haut dont les enfants étaient persuadés qu’elles l’abritaient.
Ut le 28/08/2009